Je dépends de mon mari (et j'en suis très heureuse).


Je discutais dernièrement avec une amie au sujet des notions de dépendance, de communauté, de liens amicaux. On constatait qu’aujourd’hui, il est presque mal vu d’admettre qu’on a besoin des autres. On a peur de passer pour un poids, peur d'être vulnérable, comme si dire "j'ai besoin de toi" était un aveu de faiblesse. Mais ce n’est pas le cas. Reconnaître qu’on dépend des autres, ce n'est rien de plus que reconnaître qu’on est humain, faillible et imparfait.

Moi je dépends de mon mari, et je ne parle pas tant d'argent que du reste, de son regard, sa protection, sa sagesse, sa solidité, tout ce qui répond et rééquilibre ma propre nature. Lui aussi dépend de moi. Et nous dépendons les deux aussi, surtout, de Dieu.

L'idée n'est pas devenir un poids pour les autres, évidemment, mais d'être capable de reconnaître nos propres limites, nos propres manques, et aussi d’être quelqu’un dont les autres peuvent dépendre sans la moindre crainte.

Parce qu'en vérité, on n’est jamais entiers tout seuls.

Il nous manque toujours quelque chose ; un savoir, une compétence, une ressource, une épaule, et ces manques ne sont pas des failles qu'il nous faudrait combler par nous-mêmes mais des portes ouvertes vers les autres et l'écho d'une nature amputée de sa plénitude originelle.

Nous sommes des êtres sociaux, dépendants par essence, et c'est dans l'interdépendance saine qu'on se construit le mieux ; 

en étant capable de recevoir ce qui nous manque,

et d'offrir, en retour, ce que nous avons en abondance.

Je dépends de mon mari (et j'en suis très heureuse).

Je dépends de mon mari.

Et, à sa manière, il dépend aussi de moi.

Ensemble, nous dépendons de Dieu,

Et nos enfants dépendent de nous. 

Ce n’est pas le symptôme d’un manque ou d’un défaut, ce n'est pas non plus de la faiblesse ; c'est la structure même de notre humanité. Car nous sommes des êtres essentiellement dépendants. Dès notre conception, on vit au travers d'un autre avant de pouvoir vivre avec lui. On ne se développe qu’au sein de liens qui nous précèdent et nous portent. La dépendance est l’état normal de l’existence ; notre monde s’acharne pourtant à nous convaincre que le sommet de la dignité serait l’indépendance absolue. Être libre voudrait dire n’avoir besoin de personne, ne rien devoir à personne, ne compter que sur soi ; discours martelé avec grande insistance auprès des femmes, surtout, auxquelles on répète qu'elles ne doivent pas dépendre d’un homme, jamais, en aucune façon. Celles qui oseraient défier cette règle d'or du féminisme sont presque systématiquement moquées, diminuées, menacées : "tu verras quand il te trompera, tu verras s'il meurt, tu verras, tu verras bien !"

Mais d’abord, l’indépendance absolue n’existe pas ; même ceux qui croient se suffire à eux-mêmes dépendent de forces, de ressources, de conditions extérieures qu’ils ne contrôlent pas, ou du moins pas absolument (leur santé, leur environnement, leur stabilité sociale, la nourriture qu’ils ne produisent pas eux-mêmes etc).

Ensuite, cette quête d'indépendance nous prive de ce qui nous fortifie réellement ; l’appui réciproque, la complémentarité, le soutien d’une autorité juste et aimante, capable de nous porter et de nous élever.

Plus encore, on confond autonomie et indépendance qui, si elles se ressemblent, se distinguent tout de même l'une de l'autre ; 

Car l’autonomie est bonne et souhaitable, elle relève de notre capacité à assumer nos responsabilités, à développer notre capacité à agir, à prendre des décisions justes, à accomplir ce qui nous revient sans attendre que d’autres le fassent à notre place.

Un adulte doit être autonome dans son travail, dans la gestion de ses biens, dans ses choix moraux. Une épouse doit savoir gouverner un foyer, un époux doit savoir subvenir aux besoins de sa famille. Cette autonomie-là nous rend solides et nous rend même aptes à mieux servir, à mieux aimer ceux qui nous entourent.

Mais l’indépendance, au sens où le monde l’entend, c’est l’idée de ne rien devoir à personne, de ne s’appuyer sur personne. C’est la fermeture de soi aux liens vitaux qui nourrissent et protègent, comme un arbre qui refuserait de puiser dans la terre les nutriments qui lui sont nécessaires. 

Ce qu'il faut comprendre, c'est que dépendre ne signifie pas être esclave. L’esclavage est un état de soumission à ce qui nous détruit ; une personne malveillante, un vice, un système injuste, un lien qu'on entretient malgré soi, indépendamment de notre volonté.

La dépendance, elle, peut et doit être saine. Elle peut être volontaire, réciproque, ordonnée au bien.

Un enfant dépend de ses parents ; c’est une nécessité vitale et bonne. Une épouse dépend de son mari, et lui d’elle, chacun à sa manière ; c’est la condition pour créer un foyer heureux, équilibré et qui tienne la route. Une âme dépend de Dieu ; c’est la réalité absolue et fondamentale qui donne sens à toutes les autres.

Le problème n’est donc pas la dépendance en elle-même mais son objet. Il est beau et bon d'être dépendant de ce qui nous fait du bien, de ce qui nous élève, nous renforce et nous enrichit ; il est nocif et destructeur de dépendre de ce qui nous amoindrit et nous éloigne de Dieu et du bien.

Tout cela implique bien sûr que celui dont on dépend agisse pour le bien de l’autre et non pour son intérêt seul. Quand l’autorité flirte avec la domination, quand la force se mue en abus, quand l’un est exploité au profit de l’autre, le lien, inévitablement, se pervertit.

De la même manière, recevoir la confiance de quelqu’un qui dépend de nous est une responsabilité immense qui exhorte à la droiture, à la justice, à l’exigence envers soi-même.

Si on essaie de voir plus loin, on comprend aussi que si nos familles s’essoufflent, c’est aussi parce que nous avons étendu ce culte de l’indépendance au corps social entier. Nous avons oublié que les mères devraient pouvoir dépendre de la communauté ; que les enfants, bien qu’attachés en premier lieu à leurs parents, devraient pouvoir compter sur tous les adultes autour d’eux pour grandir en sécurité. Nous avons brisé cette responsabilité collective.

Résultat, les mères sont plus isolées et plus épuisées que jamais (et non, ça ne devrait pas être normal !) Les familles font moins d’enfants parce qu’elles savent qu’elles ne pourront pas porter seules ce poids sans soutien. Chaque adulte devrait se sentir concerné par les enfants de son village, de son quartier ; mais on ne s’occupe que des siens, et encore, dans la mesure où cela n’empiète pas trop sur nos projets personnels.

En prônant l’individualité et l’indépendance à outrance, nous avons fait disparaître le tissu de dépendances réciproques qui rendait la vie si riche et les épreuves plus supportables.

Si notre monde rejette la dépendance, c’est qu’il rejette l’ordre voulu par Dieu, cet ordre dans lequel hommes et femmes ne sont pas interchangeables, où chaque individu quel qu'il soit possède des dons spécifiques, des talents, des facilités, des savoir-faire à mettre au service des autres pour espérer bâtir une société belle et bonne au sein de laquelle chacun puisse trouver une place, recevoir de certains et donner à d'autres.

Malheureusement, on préfère l’individu souverain à la personne en lien, on voit dans toute hiérarchie un abus, dans toute autorité un danger, dans toute complémentarité une inégalité. On a appris à craindre ce qui devrait rassurer et à fuir ce dont nous avons pourtant profondément besoin.

Reconnaître que nous dépendons les uns des autres est une manière de revenir à la vérité. Le mythe de l’autosuffisance nous rend plus fragiles, pas plus forts. Car lorsqu’on refuse de dépendre volontairement de quelqu’un de bon, on finit toujours par dépendre, malgré soi, de quelque chose de pire. La liberté ne consiste pas à échapper à tout lien, mais à choisir les bons liens.

Moi, je choisis mes dépendances.

Je choisis de dépendre de Dieu.

Je choisis de dépendre de mon mari, pas parce que je ne pourrais pas vivre sans lui si je le devais, mais parce que cette dépendance m’enrichit, me protège, m’élève. Et lui dépend aussi de moi pour bâtir la vie que nous avons choisie ensemble.

Parce que je suis autonome dans ce qui relève de ma mission, je peux dépendre de lui là où il m’apporte ce qui me manque. Parce qu’il est autonome dans la sienne, il peut dépendre de moi là où je le complète.

Et nous savons que d’autres dépendent de nous, nos enfants, d’abord, mais aussi tous ceux que nous avons la responsabilité de servir, d’élever, de protéger.

Ce lien, si beau, si grand, si exigeant, est notre force,

Car la dépendance n’est pas une entrave mais un choix, 

Et le fondement d’une vie riche,

Et pleine de sens.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ma conversion - De l'ombre à la lumière

Choisis un homme qui...

La vertu est une montagne