Le sens moral de l'athée est-il supérieur à celui du Chrétien ?
La question peut paraître étonnante, voire puérile, mais je ne saurai dire combien de fois j'ai pu lire cette affirmation ici et là sur les réseaux, ces derniers mois. Et même si mon premier réflexe serait de lever les yeux au Ciel devant cette énième démonstration d'orgueil, à force, j'ai fini par trouver la question intéressante. Elle trahit à la fois la méconnaissance de la théologie chrétienne et l'incapacité de l'athéisme à définir, expliquer et justifier le Bien et la Morale comme concepts objectifs applicables en tous temps et à toute l'humanité.
La réalité, c'est que si on rejette toute transcendance, alors le bien devient une préférence subjective, issue d’un conditionnement social, donc relatif et faillible, et plus une vérité absolue. Difficile de penser la justice et la dignité humaine dans ces conditions.
Il n'y a de Bien et de morale que dans la mesure où Dieu existe ; car c'est Lui qui en est la mesure et l'essence même,
Et si le Chrétien agit conformément au bien, c'est d'abord par amour, et par la grâce de Dieu,
Tout comme l'athée qui n'agit bien que parce qu'il porte en lui la trace de Son créateur.
Le sens moral de l'athée est-il supérieur à celui du Chrétien ?
Certains athées affirment parfois que les croyants ne font le bien que par peur de l’enfer ou par désir du paradis, tandis qu'eux agiraient toujours de manière bonne et juste gratuitement et sans rien attendre en retour. Ils en déduisent que leur sens moral, étant désintéressé, est par conséquent plus noble voire supérieur à celui des croyants.
C'est un argument qui peut sembler juste de prime abord, si on ne prend pas le temps d'y réfléchir, mais en grattant un peu, il n'est pas difficile de constater qu'il ne tient pas vraiment la route.
D'abord, l'idée selon laquelle le croyant n’obéirait à Dieu que par crainte de l’enfer ou par désir du paradis trahit une compréhension très réductrice, voire infantile, du christianisme.
En réalité, la morale chrétienne ne repose pas en premier lieu sur une logique de récompense ou de punition, mais sur une réponse libre à l’amour de Dieu. Elle engage tout l’être dans une quête de sainteté, dans un effort pour vivre selon la vérité du Bien, pas par calcul ; par amour. Dans cette perspective, le désir du Ciel n'est donc pas un appât mais l’aspiration naturelle de l’âme à retrouver Celui pour qui elle a été créée.
Quand on aime Dieu, quand on connaît le Christ, on n’agit pas pour obtenir quelque chose mais par amour et pour devenir saint, ami de Dieu, capable d'honorer sa nature, de nourrir son âme, de connaître sa fin et de rendre gloire à Celui auquel nous devons tout.
Ce n'est pas par peur qu'on essaie (avec plus ou moins de succès) d'agir moralement mais par adhésion à ce qu’on sait être juste et conforme à notre nature. Et même si la peur ou l’espérance peuvent bien sûr nous influencer, elles ne sont pas censées constituer ni le coeur ni le mobile principal de notre capacité à bien agir.
Le deuxième problème que soulève l'affirmation des athées qui pensent agir de manière parfaitement desinteressée, c'est que personne ne peut affirmer avec certitude que ses actes sont entièrement purs. L’orgueil, le désir d’estime, de reconnaissance, la culpabilité, le conformisme, l’habitude, l’instinct moral, la peur de la répression ou de la mort sociale sont autant de facteurs qui influencent les comportements, même quand on pense agir par pur altruisme. Ne serait-ce donc pas un peu naïf, voire hypocrite, de prétendre faire le bien par amour du bien simplement sous prétexte qu'on évince Dieu de l'équation ?
Le croyant, lui, reconnaît que sa nature humaine est blessée et n'est pas censé se targuer d'une quelconque pureté morale ; il sait qu’il est pécheur, qu’il a besoin d’aide, et cette lucidité, paradoxalement, le garde d’une auto-idéalisation que la posture athée peut facilement favoriser.
Autre élément essentiel, et auquel aucun athée n'est capable de répondre de manière absolue et objective, c'est la définition du bien et de la morale.
Car si Dieu n’existe pas, alors il n’existe aucun fondement objectif à la loi morale. Il n’y a pas de bien ou de mal en soi, seulement des préférences humaines, des conventions sociales et des constructions temporelles. Le bien devient une notion relative ; ce qui est bien pour moi peut être mal pour un autre. Dans ce cas, faire le bien pour le bien revient à faire ce que l’on juge bon de manière totalement subjective et sans aucune prétention à l'universalité.
Beaucoup d’athées continuent ainsi à vivre moralement selon des repères hérités d’une tradition religieuse qu’ils rejettent et auxquels ils ne peuvent attribuer aucune valeur objective, ce qui n'est pas tenable sur le long-terme. Si on ne peut pas collectivement s'accorder sur les contours de ce qui constitue le bien, alors il devient difficile d'établir une société saine et juste de manière pérenne. Seule la foi peut fonder solidement une morale universelle, car elle affirme l’existence d’un bien en soi, inscrit dans la nature humaine et voulu par un Créateur.
La vérité, c'est que l’athée qui suppose que le croyant agit uniquement pour gagner le paradis nourrit une conception utilitariste de la foi qui n'est pas celle que Dieu nous enseigne.
Car cœur de la morale chrétienne, ce n’est pas la peur, c’est l’amour, une adhésion volontaire, intelligente, à ce qu'est Dieu, à qui Il est, et une réponse à l'extraordinaire amour qu'Il nous a témoigné. Une fois que l'on connait et que l'on aime Dieu, on n'est pas tant motivé par l’idée de ne pas aller en enfer que par le refus de trahir ce Dieu si juste et si Bon qui nous a tant donné et par la peur de l'offenser et de se trouver séparé de Lui. Ce qu'on veut, c'est être uni à Dieu, source du bien, c'est Lui ressembler davantage.
Certes, la peur de l’enfer et le désir du ciel peuvent et doivent jouer un rôle dans la vie morale ; ces deux motivations ne sont évidemment pas mauvaises et peuvent vraiment nous aider à renoncer au péché pour nous tourner vers Dieu, mais ce sont des étapes qui doivent nous mener à la charité, c’est-à-dire l’amour de Dieu pour Lui-même, et qui doit être le moteur premier de toutes nos actions. C’est la charité qui donne aux actes moraux leur pleine valeur. La morale ne vise pas l'obéissance servile mais la transformation de l’être par amour ; une transformation qui n'est possible que par la grâce de Dieu.
Le but ici n'est pas de prétendre que les athées seraient incapables de faire le bien ; ce serait à la fois faux, absurde et injuste. En revanche, et même s’ils l’ignorent ou le rejettent, c’est bien grâce à Dieu qu'ils peuvent le faire. Car toute créature humaine est créée à l’image de Dieu et porte en elle une conscience, une capacité de discernement moral et un libre-arbitre grâce auxquels, précisément, elle peut parvenir à la connaissance de Dieu. Cette réalité, l’athée peut bien la nier, il ne peut pas l’éteindre. L'etincelle qui existe en lui ne vient pas de lui-même ; elle vient d’ailleurs, il est seulement aveugle à sa source.
Si donc l’athée peut faire le bien, il ne peut néanmoins pas en rendre compte de manière absolue et objective, il ne peut pas non plus l'expliquer ; il voit les fruits sans reconnaître l'arbre.
C’est une forme d’ingratitude intellectuelle que de se prévaloir d’une morale qu’on est incapable de justifier.
L’argument de la supériorité morale de l’athée repose donc sur une double erreur ; une caricature de la foi et une surestimation de soi. Il néglige la complexité des motivations humaines, la profondeur de la morale chrétienne et la nécessité d’une fondation objective du bien.
Car il ne suffit pas de faire le bien pour prétendre à une morale supérieure, il faut encore pouvoir en expliquer le sens, la finalité et l’origine. Sans cela, on vit sur des vestiges, des réflexes culturels et des emprunts non assumés à une vision religieuse du monde.
D'ailleurs, si on veut être objectifs, on ne peut pas nier le fait que la morale chrétienne demande bien plus que toute morale fondée uniquement sur la raison humaine. Aimer ceux qui nous aiment, c’est naturel ; aimer ceux qui nous haïssent, c’est divin. Prier pour ceux qui nous persécutent, tendre l’autre joue, pardonner sans compter, se donner sans rien attendre en retour : voilà ce que commande le Christ. La charité ne se contente pas d’une vie correcte et paisible ; elle appelle au don total, à la croix, à l’amour des ennemis, à l’abandon ; c’est une morale qui dépasse nos forces naturelles et qui, pour cette raison, requiert la grâce.
Malgré tout, il serait bon sortir de cette rivalité stérile entre croyants et athées pour savoir qui sont les plus vertueux ; cette guerre d'ego nous fait passer à côté de l’essentiel. Car la vraie question n’est pas de savoir qui se comporte le mieux et qui est moralement supérieur mais "quelle est la vérité ?” La morale n’est pas un jeu de comparaison mais un chemin vers ce qui est juste, vrai, bon, et si Dieu existe, alors c’est en Lui seul que se trouve la vérité sur l’homme et sur le bien.
La foi ne rend pas le bien moins louable et moins noble ; elle en est la fondation qui la purifie et l’élève.
Car le bien n’est pas un concept abstrait mais une Personne,
Et le sommet de la vie morale,
C'est d'aimer Dieu pour Lui-même.
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