N'essaie pas de guérir à tout prix.
Je sais, cela peut sembler étrange. Vous vous demandez peut-être comment on peut oser dire qu’il ne faut pas à tout prix chercher à guérir : comment cela pourrait-il être une mauvaise chose ? Prendre soin de soi, vouloir aller mieux, réparer ce qui a été abimé, n’est-ce pas, justement, une démarche saine, bonne voire nécessaire ?
Si, bien sûr. Et pourtant.
S'il y a bien une injonction moderne particulièrement pernicieuse, parce que subtile dans sa manière de nous éloigner de Dieu, c'est cette injonction à la guérison intérieure, à la réconciliation avec soi-même et à la restauration d'un équilibre parfait comme fin en soi et promesse de paix.
En théorie, l’intention est bonne ; dans les faits, elle dérive trop souvent vers une obsession de soi, une recherche sans fin de mieux-être, une course à l’alignement intérieur où tout devient centré sur moi, mes blessures, mon passé, mon équilibre, au point que Dieu n’est plus qu’un moyen parmi d’autres au service de cette paix intérieure tant convoitée.
Car on ne se contente plus de soigner les traumatismes majeurs mais on traque, méthodiquement, la moindre fêlure, la moindre faille, on exhume toutes les petites blessures infligées à nos âmes, tous les manques et les névroses et les plaies mal pansées, et on voudrait tout résoudre, tout réaligner, à force d'analyse et d'introspection à outrance, à force de disséquer dans l'espoir de mieux reconstituer ; alors on investit dans des formations, des coachings ou des thérapies et on pense, on croit, profondément, que cela suffira à nous sauver.
Le jargon psychologique a colonisé notre rapport à nous-mêmes et on avance chaque jour avec l'idée qu'un vieux noeud pas encore dénoué peut potentiellement nous restreindre l'accès à des réalités plus douces.
Oubliez les notions de salut, de sanctification, exit la conversion ; parlez plutôt de réparation, d'optimisation, de recentrage. Tout ira mieux lorsque vous n'aurez plus mal, c'est la promesse. Moyennant quelques euros et diverses pistes pratiques et de réflexion, vous accéderez enfin à la version libre, apaisée et harmonieuse de vous-même à laquelle vous aspirez tant.
Moi aussi, j'y ai cru.
Et c'est important de guérir, c'est vrai. C'est nécessaire, sinon indispensable, dans certaines circonstances et/ou devant une souffrance bien réelle, d'avoir recours à une aide extérieure pour chercher à modifier des schémas douloureux et appréhender certaines blessures. Mais c'est comme tout ; cela demande une certaine mesure et la limite, on la trouve lorsqu'on cesse de s’ouvrir à la transcendance parce qu’on est trop replié sur une obsession de restauration.
D'ailleurs, à force d’auto-diagnostics et de discours psychologisants à l’excès, on en vient parfois à se réfugier derrière une étiquette, une neuroatypie ou une "réponse traumatique" pour éviter de regarder en face certaines tendances et certains comportements qui relèvent moins de la blessure que du vice et de mauvaises habitudes bien ancrées et qu’un peu de discipline, d’humilité et de grâce suffiraient à améliorer. Mais c'est un autre sujet.
Mal menée, donc, la quête de guérison nous éloigne du Seigneur d'au moins trois manières : la première, en faisant de cette guérison une quête existentielle en lieu et place du salut de notre âme ;
la deuxième en entretenant l'illusion d'une nature humaine parfaitement réconciliée avec elle-même et dont les failles et les faiblesses ne sont plus des moyens de se rapprocher de Dieu et de Le laisser oeuvrer en nous, comme des croix à porter, à offrir, et à transcender au moyen de la grâce, mais des obstacles, des parasites à éradiquer absolument ;
la troisième, enfin, en nous donnant le sentiment que nous sommes les maîtres absolus de notre guérison.
Or nous incarnons une humanité déchue dans un monde déchu ; c'est une réalité à laquelle aucun programme ni aucun coaching ne nous permettra d'échapper. Et il n'y a pas de sauveur en dehors de Dieu. Encore une fois, cela ne signifie pas qu'il ne faille pas travailler sur soi ni chercher à se libérer de ce qui nous fait du mal et qui peut parfois rejaillir sur ceux qui nous entourent et dont nous avons la charge, mais s'il l'on travaille sur soi sans Dieu, si l'on vise les fruits de l'Esprit sans l'Esprit, alors nous faisons fausse route.
La blessure la plus profonde, la plus ancienne, la plus douloureuse, cette blessure commune à toute l'humanité, ce n’est ni celle de notre enfance, de nos relations, de nos épreuves personnelles ; c'est celle du péché originel et de la rupture avec Dieu. C’est là que tout a commencé, c’est là que nous avons été séparés de notre Créateur, perdu la grâce sanctifiante, là que nous nous sommes retrouvés vulnérables et blessés ; dans notre intelligence, notre volonté, notre coeur même.
C’est cette blessure-là, à l'origine de toutes les autres, qui exige avant tout une réparation ; par le sang du Christ, d'abord, et par notre coopération ensuite. Or ce n’est pas en explorant indéfiniment les replis de notre psyché que nous serons sauvés mais en revenant à la source de la Vie, à Celui qui nous a aimés alors que nous étions encore ses ennemis. Toute guérison qui ne part pas de là, toute réconciliation qui ignore la croix, reste incomplète et nous maintient en exil.
Alors avant de travailler sur soi, il nous faut d'abord travailler sur notre relation à Dieu. Avant de chercher à produire les fruits de l'Esprit, c'est l'Esprit de Dieu que nous devons chercher. Il nous faut renoncer à tout sonder des mystères de notre âme, car nous n'en sommes pas les créateurs, renoncer à vivre sans faille, car nous serons toujours faillibles.
2 Corinthiens 12:7-10
[7]Et de crainte que l'excellence de ces révélations ne vînt à m'enfler d'orgueil, il m'a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter, [afin que je m'enorgueillisse point].
[8]A son sujet, trois fois j'ai prié le Seigneur de l'écarter de moi,
[9]et il m'a dit: "Ma grâce te suffit, car c'est dans la faiblesse que ma puissance se montre tout entière." Je préfère donc bien volontiers me glorifier de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi.
[10]C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses, pour le Christ; car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.
Je le répète : il n'est pas question de négliger sa santé mentale ni de mépriser les ressources humaines que Dieu peut mettre sur notre route pour nous aider ; la prudence, le bon sens et la charité envers soi-même et envers les autres demandent parfois de chercher du soutien et de mettre la lumière sur ce qui nous entrave, mais cela ne doit jamais devenir un absolu. La guérison intérieure est un moyen, pas un but en soi ; elle n’est pas le salut, elle en est simplement, parfois, le seuil.
L'objectif n'est évidemment pas de verser dans l'excès inverse ; Dieu n'attend pas de nous que nous nous complaisions dans la douleur et les difficultés mais que nous en fassions des lieux de rencontre entre notre âme et Lui. Il n'est pas nécessaire d'être parfaitement réparé pour suivre le Christ, bien au contraire ; Il vient nous chercher là où nous sommes, dans l'état où nous sommes.
C'est précisément là que se trouve le piège ; le démon sait, encore mieux que nous, combien nos faiblesses peuvent devenir des lieux de grâce, combien nos blessures peuvent nous ouvrir à la miséricorde de Dieu, combien le manque nous pousse à chercher Celui qui seul peut combler. Alors il travestit une intention louable, celle de prendre soin de soi, en quête absolue en nous faisant croire que la paix est à portée de main (ou de clic), que la plénitude est possible ici-bas et que nous avons en nous les ressources pour nous sauver. Et progressivement, on cesse de lever les yeux vers Dieu, on croit pouvoir guérir sans Lui, être comblés sans Lui, avancer sans Lui. C'est un mensonge.
C'est à la sainteté que nous prépare cette vie, et la sainteté ne s'obtient pas à travers une parfaite santé psychique, elle ne s'obtient pas dans l'équilibre absolu et l'alignement intérieur, elle s'obtient dans la foi, la charité, l'espérance, dans toutes nos blessures offertes à Dieu, dans notre capacité à changer ce qui peut l'être et à Lui abandonner le reste.
Ne vous trompez donc pas de combat.
Ne visez pas en premier lieu l'alignement avec vous-même
Mais avec Celui qui vous a créé,
Ne cherchez pas à tout comprendre,
À tout guérir,
À tout réparer.
Ne vous regardez pas plus que nécessaire, mais levez les yeux vers le Ciel,
Vers votre sauveur,
Votre consolateur ;
Et l'éternité qui vous attend.
Alors, votre âme sera guérie.
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