Ma conversion - De l'ombre à la lumière
Je me revois, petite fille, allongée sur le lit de ma mère.
Je me rappelle, avec une netteté troublante, avoir été saisie tout à coup par une forme d’intuition. De certitude. Je sentais que la vie portait en elle un mystère, une espèce d'énigme profonde qu'il me fallait résoudre, et j’étais convaincue que le jour où je parviendrais à en percer le sens, je verrais une grande lumière.
Avec le recul, je crois que c'est Dieu qui me parlait pour la toute première fois.
Et puis, j'ai grandi.
Ma mère croyait en Dieu comme en un concept informe, elle disait "c'est le Bon Dieu qui décide" et "si Dieu le veut" sans que Dieu ait jamais eu un nom et des choses à nous dire. Mon père, lui, n'y croyait pas du tout. Ça n'a pas changé.
L'année de mes 10 ans, je suis entrée en internat à la Maison d'éducation de la Légion d'honneur. Là-bas, il n'y a que des filles et l'uniforme est de rigueur. On reçoit chaque trimestre des médailles pour récompenser nos bonnes notes et notre bon comportement, on y fait la révérence, les professeurs nous vouvoient et on chante la Marseillaise à la fin de l'année.
Il y avait dans la cour une petite chapelle où la Messe était donnée tous les mardis soirs ; n'y assistaient que celles qui le désiraient. Je ne savais pas, moi, ce qu'était la Messe. Je n'avais jamais entendu parler d'Eucharistie, de Communion, je ne savais même pas ce qu'était le baptême. J'y allais sans rien écouter, comme on va au spectacle, pour rompre la monotonie du quotidien et pour m'abriter les soirs de mauvais temps avant l'heure de monter au dortoir. Un soir, j'ai même rejoint la file des communiants, attrapé l'hostie en murmurant "merci" et avalé ce petit morceau de pain qui avait éveillé ma curiosité et dont le goût, je dois dire, m'avait un peu déçue.
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La Chapelle de la MELH |
En plus de la Messe le mardi soir, nous avions aussi droit à une soirée cinéma par semaine au dortoir. Je n'y allais généralement pas ; je préférais lire ou écrire depuis le fond de mon lit et, bizarrement, je vivais mal cette espèce de parenthèse "normale" avant le retour aux règles de l'internat que je supportais, il faut le dire, très mal. Mais j'y suis allée un soir, et je ne me rappelle plus quel film exactement on nous a montré, je me souviens seulement que c'était un film sur la vie et la Passion du Christ.
Je me rappelle très précisément mon émotion, comme un saisissement intérieur mêlé à une peine intense. Pour la première fois, je comprenais que Jésus était Dieu et qu'Il était mort pour nous. Ça paraissait fou. À peine croyable. Et autour de moi des filles riaient, je ne sais plus de quoi, mais leurs rires avaient quelque chose de déplacé, d'absurde. De cruel. Moi, j'étais bouleversée ; pourquoi ne l'étaient-elles pas aussi ? Comment pouvaient-elles rire alors qu'un dieu si bon, si aimant, avait ainsi souffert pour elles ?
Je crois que c'est cette nuit-là, dans mon lit d’internat, que j'ai commencé à Lui parler. Pour Le consoler, d'abord ; pour me consoler ensuite. Je lui adressais des prières instinctives, ponctuées de silences, profondément sincères. Mes parents, mon foyer me manquaient, et il y avait dans ces dialogues nocturnes un réconfort tout singulier. Je me réfugiais dans le Seigneur comme un enfant s'enfouit dans les bras de son père. Alors, comme ça, je L'ai aimé.
J'avais 14 ans.
Naturellement, j'ai fini par désirer le Baptême. Par chance, l'établissement dispensait des cours de catéchisme auxquels je me suis donc inscrite avec grand enthousiasme, dispensés par un prêtre d'une douceur, d'une gentillesse, d'une bienveillance que je me rappellerai certainement toujours.
Peu avant Pâques fut organisée une retraite spirituelle avec les filles qui se préparaient à la Confirmation. Je me souviens avoir aimé le silence, les chants, les temps de prières ; c'était si beau, c'était confortable de s'extraire ainsi du monde.
On nous a demandé d'écrire une lettre adressée à l'Evêque qui devait nous confirmer pour témoigner de notre foi et montrer que l'on saisissait bien l'importance du sacrement que nous nous apprêtions à recevoir. Moi, j'allais en recevoir trois. Alors évidemment, j'ai beaucoup, beaucoup écrit.
Et puis, j'ai été baptisée. L'église était pleine à craquer. J'ai vu mon père, qui ne croit pourtant pas en Dieu, verser une larme au moment le prêtre prononçait les paroles qui me donnaient la Vie. Dans la foulée, j'ai reçu ma première Communion et ma Confirmation. Ce fut un moment de grande joie, de plénitude intérieure que je n’ai jamais oubliée. Pendant son homélie, l'Evêque a lu quelques extraits des lettres qu'il avait reçues. Plusieurs venaient de la mienne.
Au moment de notre procession, j'ai été arrêtée par un homme aux yeux d’un bleu incroyable, perçant, limpide. Il m’a regardée et il m’a dit : "Ne perdez jamais la foi. C’est le plus grand trésor que vous posséderez jamais."
J'ai souri, et j'ai acquiescé.
Un an plus tard, ce trésor m’avait échappé.
Ma foi n’a pas disparu d’un coup. Je l'ai perdue lentement, presque sans m'en rendre compte ; c'était quasiment inévitable. En dehors de l'internat, je ne connaissais aucun Chrétien et, de moi-même, je ne savais pas comment nourrir ma foi. C'est donc le monde qui a formé mon âme.
À 15 ans, j'ai connu mon premier chagrin d’amour, mes premières blessures adolescentes, j'ai éprouvé, pour la première fois, comme une immense fatigue intérieure, une lassitude de vivre avec laquelle il me faudrait désormais coexister de manière presque constante.
Après 5 ans à prendre sur moi, j’ai quitté l’internat.
J’ai découvert la vie extérieure, le monde "libre", et je m’y suis jetée sans boussole, sans freins, comme une enfant affamée devant un buffet de sucreries.
Sans surprise, affectivement, ce fut le chaos.
Grisée par la mixité que je redécouvrais pour la première fois depuis l'école primaire, je suis tombée amoureuse très vite, très fort, sans avoir aucune idée de ce que signifiait aimer véritablement. Pire : je croyais, naïvement, qu’en me donnant tout entière, je parviendrais à mieux me faire aimer. C'était normal. Tout le monde le faisait, non ?
J'ai brisé des cœurs, on a brisé le mien. Je me perdais dans une succession de relations qui me laissaient chaque fois un peu plus vide, sans comprendre ce que j’étais en train de faire de moi-même.
Entrée à la faculté, mon désordre intérieur n'a fait que s'aggraver.
Tout me semblait vain, creux, absurde. Sans retenue, je me suis abandonnée à une forme d’hédonisme brut. Plus d’avenir, plus d’idéal, plus de Dieu ; rien que l’instant présent à consommer.
C'est ainsi que, une chose en entraînant une autre, j'ai commencé à fumer du cannabis. L'effet fut immédiat : soulagement, torpeur, oubli et légèreté. Très vite, il m'a été impossible de m’en passer. La dépendance était totale, impérieuse, radicale. On dit que c'est une drogue douce ; on oublie de préciser que l'addiction, elle, ne l'est pas.
L’addiction, elle est comme une voix qui s’impose et qui prend toute la place. À cause d’elle, je me suis retrouvée certains soirs à gratter le fond de mes cendriers et à effriter mes restes de joints pour espérer en reconstituer un dernier. Elle m’a poussée à veiller de longues heures en attendant que mon dealer daigne passer. Elle m’a incitée à passer outre les règles de prudence les plus élémentaires pour aller parler à des types inconnus, plantés en bas des tours, et leur demander s’ils n'auraient pas “un truc à vendre”. Elle m’a poussée à faire parfois deux heures de transports pour cinq minutes de transaction. À refuser de me rendre dans des endroits où à des évènements qui ne me permettraient pas de fumer.
Mon pochon vide me transformait systématiquement en machine, une machine n'ayant qu'un seul objectif, une seule priorité : résoudre le manque. À tout prix. Coûte que coûte.
Avec les joints, j'avais le sentiment de savourer les meilleurs aspects de mon hypersensibilité sans le revers de la médaille. Tout était plus fort, tout était meilleur ; l'angoisse en moins. Et je ne pouvais plus fonctionner sans.
Et mes relations continuaient. Sitôt que je n'étais plus satisfaite, j'en démarrais une autre pour ne pas avoir à affronter la solitude, pour être sûre de rester utile à quelqu'un. Non, pas utile : indispensable. Pour me sentir aimée, toujours.
À 20 ans, ma consommation est devenue hors de contrôle ; je fumais désormais jusqu'à 15 joints par jour et si chargés de substance que les moins habitués avec lesquels il m'arrivait de les partager finissaient parfois malades. La défonce était devenue mon état normal : hormis mes yeux rouges, rien dans mon attitude ne laissait jamais penser que mon état mental était altéré. Tout mon argent (ou plutôt celui de mes parents qui, les pauvres, ne se doutaient de rien) y passait. Celui chez qui je vivais n'était pas mieux loti que moi et nous nous entraînions mutuellement vers les abysses. Je ne mangeais plus qu'un repas par jour, j'ai perdu plus de 10 kilos et arrêté les études. Ça a fait pleurer ma mère ; quant à moi, je me croyais plutôt heureuse.
J'étais convaincue d’avoir trouvé ma voie dans l'existence, la voie de l'Etre absolu, convaincue d’avoir compris quelque chose que les autres ignoraient, je me sentais en marge, avec les gens bizarres, les gens pas à leur place ; c'est devenu mon identité entière. J’ai adhéré à des idées violentes, cyniques, désincarnées, je lisais Nietzsche et Cioran et Bukowski, je croyais à l'amour libre, je parlais avec l'assurance de celle qui savait tout, qui sentait tout, qui avait déjà tout compris ; aux autres, au monde, à l'existence. En réalité, j'étais complètement perdue, esclave de mes pulsions, de mes blessures, de mes désirs les plus désordonnés, je faisais du mal, comme un poison, jusqu'à m'empoisonner moi-même, tentant désespérément de combler un vide que rien ni personne n'aurait jamais pu combler.
Enfin, un jour, j'ai vécu ma dernière rupture. Ma relation a pris fin et, pour la première fois, personne n'est venu remplacer celui que je laissais partir. Personne pour m'éviter la solitude, pour m'offrir l'illusion d'être un peu moins vide. C'était une situation extrêmement douloureuse pour moi, mais je n'ai pas eu le choix ; je l'ai endurée.
Je me suis donc retrouvée seule, véritablement seule, pour la première fois depuis presque dix ans. Je suis retournée vivre chez mes parents, m’enfermer dans ma chambre, et j'ai entamé une existence plus creuse et flottante que jamais ; probablement le chapitre le plus sombre de ma vie.
Parce qu'il fallait bien faire quelque chose, je me suis trouvé une alternance, histoire de donner le change, et, pour supporter l'existence, je fumais toujours, du matin au soir, sur le chemin du RER, puis à la pause déjeuner, et enfin sitôt rentrée à la maison.
La nuit, je consommais des contenus virtuels immondes et m’abîmais les yeux et l’âme sur des écrans qui m'engloutissaient à leur tour.
J’écrivais dans mes carnets. J’écoutais de la musique. Je lisais des livres. Je dessinais. J'apprenais la guitare. Je fumais encore. Je discutais virtuellement avec des dizaines d'âmes et en rencontrais d'autres dans la vraie vie de manière assez régulière. Je me vautrais dans mes addictions nauséabondes. Mais j'étais libre, paraît-il.
"Je flotte à la surface du monde comme un cheveu sur la soupe", j'ai écrit un jour.
J'étais au bord. Et je le sentais.
Tout était trop lourd. Trop pénible.
Je nourrissais des idées noires comme la nuit.
J'étais épuisée. Je n’en pouvais plus.
Je me souviens avoir écrit, un soir ;
"Tout a des allures de générique de fin", et aussi "J’ai vendu mon âme au diable."
C'était sans doute vrai.
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Extrait de carnet |
Je vivais comme un fantôme dans ma propre vie, incapable d’en sortir, incapable d'agir, incapable d'entrevoir le moindre rayon de lumière.
Jusqu'à ce que tout bascule.
13 novembre 2015.
Ma mère est entrée dans ma chambre, une drôle d'expression sur le visage. Quelque chose venait de se passer à Paris.
Une fusillade.
Près de chez ma sœur. Près de chez mes cousines. Elles étaient sorties ce soir-là et l'une d’elles, désormais, ne répondait plus au téléphone.
J'ai haussé les épaules, rassuré ma mère avec des mots qui sonnaient creux. Ce n'était rien, sans doute, une rixe, un fait divers, un règlement de comptes. Tout a changé lorsque j'ai compris que ce n'était pas une rixe. Ce n'était pas un règlement de compte. C'était un attentat.
Des gens avaient été abattus en terrasse et dans une salle de concert, au hasard.
Et ma cousine était précisément en train de dîner ce soir-là à l’un des endroits visés.
Et elle ne répondait pas.
Et on ne la retrouvait pas.
Et le temps était tendu, dilaté, suspendu.
Il n’y avait plus rien.
Plus de fuite.
Plus de distraction.
Plus de bruit pour couvrir le silence.
Plus de fumée pour anesthésier la douleur.
Pendant deux jours, on a attendu, cherché, pleuré, espéré ; on regardait les draps blancs qui recouvraient les corps à la télé en se demandant si celle qu'on aimait se trouvait sous l'un d'eux, on s'imaginait qu'elle soignait peut-être les blessés, elle était médecin, c'était bien son genre,
Si seulement ça pouvait être ça,
Pitié, faites que ce soit vraiment ça.
Mais la confirmation est tombée. J'entends encore ma mère hurler au téléphone.
Morte.
Ma cousine est morte.
Quand le tireur est arrivé, elle s'est précipitée sous une table et a tenté de protéger l'amie avec laquelle elle était venue dîner. Elle a réussi ; son amie est en vie.
Pas elle.
Elle avait 37 ans.
Je me rappelle m'être laissée tomber, en proie à un état de sidération difficile à décrire. La seule chose qui donnait corps à mon univers venait d'être pulvérisée en un instant. Mon sentiment de sécurité, ma bulle familiale, l'illusion que ça n'arrive qu'aux autres. Terminé.
Cette mort était absurde. Elle n'avait aucun sens.
C'était comme si la balle qui l’avait tuée avait frôlé chacun d’entre nous.
Comme si elle avait traversé nos chairs, comme si elle avait touché le cœur de notre famille entière.
À l'église, le jour de son enterrement, j'ai écrit un discours que j'ai réussi à lire, je ne sais pas trop comment. Je n'ai pas parlé de Dieu. Seulement d'elle, et de ceux qui restaient.
Et puis la vie a repris, comme elle le fait toujours.
C'est là que l'effet papillon commence.
Parce que S. est morte, j'ai arrêté d'entretenir les relations malsaines qui me polluaient l'âme.
Parce qu'elle est morte, j'ai renoué avec quelqu'un qui ne faisait plus partie de ma vie avant que cette tragédie ne le pousse à reprendre contact et à se réinstaller dans la ville qu'il avait pourtant quittée.
Parce qu'elle est morte, il a décroché un nouveau travail et m'a suggéré de déposer ma candidature, laquelle a été retenue.
Parce qu'elle est morte, j'ai rencontré quelqu'un qui travaillait là-bas.
Je l'ai rencontré, lui.
Celui qui allait devenir mon mari.
Celui que Dieu allait utiliser pour me sauver.
Serais-je encore vivante si elle l'était encore, si la trajectoire de mon existence n'avait pas été définitivement affectée par sa mort ?
C'est la question-vertige, la question à un million. Dieu aurait-Il trouvé un autre moyen ? Aurais-je connu mon mari autrement, dans d'autres circonstances ?
Pas sûr.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que c'est parce qu'elle est morte que j'ai rencontré Pierre.
Je ne sais pas quoi faire de cette réalité, quelques fois. Mais elle est ce qu'elle est.
Dès le premier jour, quelque chose en lui m'a apaisée et aidée à me sentir à ma place.
Il parlait peu, il était drôle, et il dégageait ce je-ne-sais-quoi d'incroyablement solide et sécurisant.
Très vite, je me suis surprise à guetter son nom sur le planning et à me réjouir quand je savais qu’on devait partager la même tranche horaire.
Tout semblait plus facile quand il était là.
Il a fini par me proposer de fumer une cigarette avec lui, un jour, dans la petite cour à l'arrière de la cuisine. Je le revois, la main dans la poche, et ses yeux qui m'observaient d'un drôle d'air. "Tu crois en Dieu ?"
J'aurais aimé une question plus simple.
J'ai bafouillé une réponse vague qui ne voulait pas dire grand-chose, un truc comme :
"Un peu, pas vraiment, je crois en quelque chose, peut-être, l'univers, une force, rien de précis. Je suis plutôt agnostique, disons."
Il a hoché la tête. Je ne lui ai jamais demandé ce qu'il s'était dit, à ce moment-là ; en tout cas, il n'a rien ajouté de plus.
Et puis, nous sommes tombés amoureux.
Sa foi s'est rapidement immiscée entre nous comme une invitée envahissante. Elle était solide, comme lui, et exigeante ; trop à mon goût. Le Carême est arrivé et, avec lui, le jeûne, les prières, les privations.
D'abord, je l'ai regardé faire. C'était intrigant. C'était étonnant.
Et puis je me suis sentie mal à l’aise.
Puis agacée.
Puis, très vite, je ne l'ai plus supporté, ce Dieu qui venait s’immiscer entre nous.
Je voulais vivre dans la légèreté, dans le plaisir, dans l’oubli, et m’étourdir dans tout ce que j’avais toujours connu ; mais lui gardait les yeux vers le ciel quand je les fixais au sol.
Je suis devenue mauvaise. Venimeuse.
Je me suis moquée.
J'ai provoqué, piqué là où ça faisait mal.
J'ai tenté, consciemment, de le faire chuter.
Je suis devenue l’instrument du démon.
Il a tout encaissé.
Il n'a pas répondu.
Il n'a pas fui, non plus, même s'il aurait dû.
C'est sa faiblesse, c'est mon miracle, cet amour qu'il avait pour moi,
Cet amour qui l'a poussé à supporter ce qui aurait dû lui être insupportable.
J'ai tout essayé : la raison, l'émotion, la philosophie, et même la science. Déterminée à lui prouver que l'existence de Dieu ne tenait pas la route, j'ai écouté des conférences en ligne sur l'astrophysique et les débuts de l'univers ; aucune ne m'a donné raison. La science n'avait pas de réponse et même, elle permettait d'ouvrir une fenêtre sur la merveilleuse complexité, sur l'incroyable finesse du monde et de ses lois physiques. En toute bonne foi, il devenait difficile de brandir l'argument du hasard pour expliquer la création d'un tout à partir d'un rien et d'un ordre savamment millimétré à partir du chaos.
Alors, puisque rien ne flanchait, puisqu'il refusait de l'abandonner, ce Dieu, j'ai fini par me convaincre que notre relation était vouée à l'échec. Je ne pouvais pas vivre avec quelqu'un qui percevait la vie à travers un prisme si radicalement différent du mien : c'était au-dessus de mes forces. Je ne voulais pas que Dieu existe, je ne voulais rien sacrifier, je ne voulais pas obéir ; la religion n'était qu'une sorte de fable rassurante taillée pour les faibles d'esprit, les naïfs et les ignorants et tous ces idiots incapables de faire face à l'absurdité de l'existence, à la mort toute nue, sans paradis ni enfer ni rien à en tirer.
Alors je lui ai dit que j’avais besoin de temps, de réfléchir ; en réalité, je voulais partir. J'avais seulement besoin d'un peu de courage.
Et puis, j'étais en colère et même un peu jalouse.
Parce qu’il avait quelque chose que je n’avais, moi, jamais eu : la paix.
La certitude.
Cette lumière intérieure,
Quand j'étais là, moi, vide, incapable de croire, perdue dans le noir, inapte à ressentir quoi que ce soit qui s'élève un tant soit peu au-dessus du règne de mes sens.
J'avais pourtant soif de beauté, de vérité et d'absolu,
Soif de Dieu, sans le savoir,
Mais je cherchais l'infini dans le fini.
Alors je suis partie.
C'est Dieu que je fuyais en le fuyant, lui.
Je me suis éloignée.
Et dans mon cœur, à nouveau, l’hiver s'est installé.
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Extrait de carnet |
Retour à la case départ, à ma chambre dans laquelle rien n’avait changé. J'étais là, comme une ombre, mon sempiternel joint entre les doigts. Pour tuer le temps. Pour tuer autre chose, peut-être. Un jour, par hasard (le fameux), je suis tombée sur une vidéo assez longue qui m'a très vite fait plonger dans un rabbithole d'une noirceur à laquelle je n'avais encore jamais été confrontée. On y parlait franc-maçonnerie et autres choses absolument abominables qui font froid dans le dos. C'était long. Tout à coup, j'ai eu le sentiment de vivre dans un monde parallèle. Je suis entrée dans une autre dimension, et j'ai eu peur. La vraie peur. Le vrai malaise.
J'ai découvert que le Mal existait.
Pas le mal comme souffrance humaine, pas le mal comme faiblesse morale ; le Mal réel, actif, puissant, le Mal qui a une volonté propre et qui manifeste de la haine envers Dieu, Son Nom, Son Église. Le Mal qui cherche à détruire les âmes.
Quelque chose s'est effrité dans mon esprit.
Moi qui ne croyais pas, qui ne voulais surtout pas croire, j'ai compris, avec une évidence brutale, presque douloureuse, que si le Mal existait comme force, alors il fallait nécessairement que le Bien existe aussi,
Et pas seulement un bien relatif, subjectif ; le Bien absolu.
Premier vertige.
Sensation de malaise proche de la nausée.
La vidéo s'est terminée et, à ma grande surprise, des versets bibliques se sont affichés à l’écran ; je ne pourrais plus dire lesquels, je me rappelle seulement qu'à l’instant même où mes yeux les ont lus, il s'est passé quelque chose.
Un basculement.
Une lumière intérieure. Une paix que je n’avais jamais connue.
Une paix qui ne venait pas de moi, qui descendait, littéralement, depuis le Ciel jusqu'à mon âme.
Silence. Flottement.
Mes yeux se sont posés sur la fenêtre.
Dehors, un grand arbre effleuré par le vent agitait doucement ses branches. Et, dans ce silence, mon coeur a entendu :
"Je suis là. J’ai toujours été là."
Et j'ai fondu en larmes ;
J'ai pleuré comme on revient au monde, comme un nouveau-né après sa première inspiration.
Tout ce que j’avais fui, tout ce que j’avais nié, tout ce que j’avais abîmé, tout me revenait d’un seul coup.
Et Dieu.
Dieu qui me cherchait depuis si longtemps.
Dieu que j’avais insulté, moqué, chassé.
Dieu qui ne m'avait jamais abandonnée.
J'étais une misérable, une ingrate, une âme morte, et Il était là.
J'ai demandé pardon.
Pardon, mon Dieu.
J'ai pleuré longtemps, des jours, des semaines, chaque fois que je pensais à Lui, chaque fois que mon coeur se réfugiait dans Sa presence, chaque fois que je demandais pardon. C'était comme si j'étais tombée amoureuse, comme si j'avais eu un coup de foudre ; j'en parlais à tous ceux que je croisais, l'oeil brillant, le sourire aux lèvres, j'avais envie de le dire à la Terre entière, je ne m'intéressais plus à rien, je n'avais plus soif de rien, c'était Lui, ce n'était que Lui.
J'ai appelé Pierre, et à lui aussi j'ai demandé pardon.
Quelques temps après, j'ai préparé ma confession. Elle était longue. Elle était difficile. Mais elle m'a libérée.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce qui s'est passé ensuite, sur mon chemin de guérison, mes rechutes, mon exploration de l'islam qui n'a fait que confirmer et renforcer ma foi, les débats enflammés que j'ai entretenus en ligne et qui m'ont poussée à interroger, chercher, questionner, sans jamais me détourner de l'Eglise, le retour de mon mari à la Tradition et ma re-découverte du Catholicisme, sur la manière dont ma vie et ma relation à Dieu se sont encore transformées lorsque je suis devenue mère, sur tous les combats qu'il me reste à mener, mais l'essentiel est là : après des années d'errance, j'ai retrouvé Dieu.
Et si j'ai, depuis, connu des périodes de grande sécheresse spirituelle, eu des doutes, éprouvé des moments de désespoirs et eu envie cent fois d'abandonner le combat, je n'ai plus jamais douté de Son existence.
Dieu n'est ni un médicament, ni un magicien,
Mais Il est le Chemin, la Vérité, la Vie,
Il m'a libérée de mes chaînes,
L'une après l'autre,
Avec sagesse, avec patience,
Et grâce à Lui, je vois maintenant la lumière,
Je sais que le monde ne pourra jamais me combler,
Que la liberté n'existe qu'en Lui,
Je sais qui je suis,
Où je vais,
Quelle est ma vocation,
Et ce que je vaux à Ses yeux.
Deo gratias.
Ton histoire m’a beaucoup touché. Je lis tes publications Instagram. J’ai aussi le sentiment que Dieu m’a sauvé. J’ai reçu le sacrement de confirmation et fais ma première communion le week-end dernier. J’ai l'impression de renaître. Merci pour tes partages.
RépondreSupprimerMerci pour ce témoignage poignant Victoria. Comme quoi, il n'y a pas de situation irrémédiable pour Dieu. Il est toujours plus grand que le désespoir le plus profond !
RépondreSupprimerWow. Votre témoignage prend aux tripes. Merci. Deo Gratias ! C'est dingue, quand j'étais petite je passais mes soirées aussi à parler à Dieu, Lui confier tout, mes joies mes peines, je finissais par pleurer chaque soir en imaginant que j'étais dans Ses bras et qu'Il me consolait
RépondreSupprimerC'est un plaisir de vous retrouver au travers d'un blog. Merci pour ce témoignage que je n'avais pas encore lu. Notre Seigneur est tellement grand et parvient à ramener tellement d'entre nous à Lui. Quel bonheur.
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